samedi 10 décembre 2011

Triple A, double 0, quadruple Z ... la nuisance des agences de notation et les contre vérités des médias

Certains ont sans doute entendu parler il y a quelques semaines d'une "boulette" de l'agence Standard & Poors, qui publiait pour ses abonnés l'information de la dégradation de la note de la France. 
L'agence a parlé d'une "erreur technique", en gros un webmaster a appuyé trop vite sur le bouton "mettre en ligne"..
Personne n'a sur le fond démenti l'information, ils se sont juste excusés de l'avoir mis en ligne "trop vite" en quelque sorte.

Sujet "technique" par excellence, peu abordable pour le grand public,  (la "note" de la dette souveraine d'un pays.. un peu comme un formulaire d'évaluation des risques lorsque vous vous retrouvez en face de votre guichetier à la banque pour solliciter un crédit pour la machine à laver, combien avez vous déjà de crédits sur le dos, combien gagnez vous, quelle est votre capacité à rembourser, etc..).


Mais je ne vais pas détailler ici le fonctionnement de ces notes, je veux juste pousser un "coup de gueule" :


Pour parler franchement, j'en ai plus qu'assez des agences de notation, on n'entend plus parler que de ça : TV, journaux, hommes politiques (passons sur les indiscrétions d'un président qui confie "si on perd le triple A je suis mort".) : pas une journée sans qu'un gros titre ne parle d'une agence de notation et d'un "triple A"..

On dirait qu'on est en train de distribuer des images à la maternelle..

Je connais par avance la réponse de certains : les agences ne font qu'évaluer le risque pris par ceux qui prêtent (banques, fonds de pension, compagnies d'assurances), en étudiant avec le plus grand sérieux les capacités de remboursement des états emprunteurs.
Il ne faut donc pas se tromper de cible, le problème n'est pas le thermomètre (les agences), mais les malades (les états).


Sauf qu'en cas de grippe, lorsque vous prenez votre température, le thermomètre ne fait qu'un relevé et n'aggrave pas la température.

1) Le rôle des agences et leurs erreurs passées


Les agences ne sont donc pas qu'un simple thermomètre puisqu'en dégradant un pays, elles font mécaniquement monter les taux d'intérêts, ce qui a pour conséquence de renchérir le coût de l'emprunt du malade, ce qui au final aggrave encore son sur-endettement.


Il est également utile à ce stade de se remémorer ce qui s'est produit au cours des années 2007 / 2008, avec pour apogée l'effondrement de la banque Lehman Brothers au mois de septembre 2008
  • cet effondrement a mis le monde de la finance en panique, et les états (américain, européens, japonais, etc..) sont massivement intervenus pour éviter la faillite générale du système, d'une part en injectant des milliers de milliards dans le système financier, d'autre part en tentant par tous les moyens des "plans de relance" de l'économie (exemple simple : les primes à la casse dans le secteur automobile)
  • la conséquence de ces sauvetages est que des milliers de milliards de dettes privées ont été transférées aux états, dont la dette a, à leur tour, explosé
Nous sommes donc dans une situation où, 3 ans après le risque d'effondrement de la planète finance (qui s'en est relevée), ce sont donc les états qui sont au dos du mur. Bien entendu entre temps aucune règle n'a changé sur les marchés financiers, ni sur les "produits dérivés", ni sur les paradis fiscaux, ni sur le trading robotisé à hautes fréquences, ni sur les "darkpool", etc..


Pourquoi le système financier a-t-il été au bord du chaos en 2008 : les fameux subprimes, à savoir des crédits hypothécaires sur l'immobilier américain, de plus en plus risqués, et disséminés tout autour de la planète dans des produits opaques, les CDO, de sorte qu'il devint impossible de savoir qui détenait le crédit de qui..


Dette, crédit... oui, vous avez tout compris, ces CDO étaient notés... par les agences comme le sont aujourd'hui les dettes des états.
Et comment Moody's, S&P ou Fitch notaient-ils ces "CDO" ?
AAA pardi, soit la meilleure note possible, des produits sûrs, un placement de bon père de famille.


Le plus incroyable est ce qui suit : le système de défense adopté par ces agences de notation lorsqu'elles furent auditionnées par le congrès et le sénat américain.
  • "nous ne faisons qu'émettre une opinion, au sens du 1er amendement de la constitution américaine, personne n'est obligé de nous croire ou de se baser sur notre opinion pour prendre des décisions d'investissement"
Je ne peux que recommander de voir le documentaire "Inside Job" (oscar du meilleur documentaire) dans lequel vous verrez les extraits des auditions des responsables des agences, c'est effarant.
Ainsi donc ces agences notaient AAA les CDO, bourrés de subprimes toxiques, ces CDO permettant la titrisation à l'échelle planétaire de tous ces crédits à risque, ce qui a entrainé la faillite de Lehman Brothers, la faillite de l'assureur AIG, le renflouement par l'état à coup de milliers de milliards de toute cette sphère financière de wall Street..


Cette crise a provoqué des dizaines de millions de chômeurs de par le monde, l'effondrement de l'immobilier américain à conduit à expulser jusqu'à 1 millions de foyers américains par mois de leurs logements saisis, 46 millions d'américains aujourd'hui ne peuvent manger que grâce à l'aide alimentaire...

Je reviendrai ultérieurement sur le mode de rémunération des agences de notation.. mais il faut à minima reconnaitre qu'elles ont été totalement déficientes sur la notation des CDO..

Conformément à leur défense, ce n'est donc qu'une opinion, et nous ne sommes pas obligés de les croire !


2) Triple A et taux d'intérêts


Il convient ensuite, contrairement à nos dirigeants politiques, de prendre un peu de distance face à ce sacré Graal que semble être le triple A : 
  • l'Allemagne et la France dispose toutes 2 du triple A, pourtant la France emprunte en ce moment à des taux d'environ 3.3 à 3.6% sur 10 ans quand l'Allemagne emprunte à des taux d'environ 2% sur 10 ans. Ainsi, le triple A n'est pas en soit un garant de taux d'intérêts les plus bas
  • Les États-Unis ont été dégradés cet été (il fallait bien faire diversion de la part des agences américaines pour que le pillage organisé de l'épargne européenne ne soit pas trop voyant), et malgré leur "double A", les États-Unis empruntent à des taux d'intérêts proches des taux allemands
 3) L'Allemagne, modèle irréprochable ?


Franchement j'aimerais qu'on cesse ne nous saouler (il n'y a pas d'autres mots) sur toutes les antennes au sujet de l'exemplarité de l'Allemagne, du "modèle allemand", de la "ténacité d'Angela Merkel" ou du couple Merkozy.


D'abord les excédents commerciaux de l'Allemagne sont pour la plupart les déficits de pays comme la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal ou même le Royaume Uni.


D'autre part, si l'on revient sur le sujet "dette", l'aggravation de la dette allemande sur les 4 dernières années est tout à fait comparable à l'aggravation française.
En effet, lors de l'effondrement du système bancaire fin 2008, l'Allemagne a appliqué la méthode américaine (les États Unis ont par exemple pris à la charge de la collectivité les 300 milliards de dollars d'actifs pourris de Citigroup) : les actifs non moins pourris de Hypo Real Estate, banque allemande spécialisée dans le crédit immobilier, ont été transférés à la charge de l'état fédéral... sans parler de l'état actuel de Commerzbank et des injections de liquidités publiques dans Dresner..


Par ailleurs, la démographie allemande étant totalement atone, l'aggravation de la dette allemande va couter de plus en plus cher par habitant au peuple allemand, sans parler des nombreuses collectivités locales en faillite dont on ne parle jamais.
Certes l'Allemagne peut en ce moment se refinancer à des taux d'intérêts inférieurs à l'inflation..

Je peux également ajouter que l'Allemagne un tantinet arrogante ces derniers mois sur la discipline budgétaire à infliger aux pays "du sud" a été la première rompre le pacte de stabilité et de croissance de l'UE en pratiquant une dévaluation masquée : baisse massive des cotisations sur le travail en contrepartie d'une hausse de la TVA, ce qui n'est pas en soi une mauvaise chose en Europe mais  c'est de la concurrence déloyale vis à vis de ses partenaires européens (alors que de façon coordonnée en Europe, c'est une des meilleures réponses à la concurrence asiatique). Ainsi cette dévaluation masquée et cette déflation salariale a permis de restaurer la compétitivité allemande après la réunification et permet aujourd'hui à l'Allemagne d'afficher son insolent excédent commercial, réalisé sur le dos de ses voisins.

On a oublié un peu vite que l'Allemagne a été, comme d'autres (la France), en déficit excessif au début des années 2000, et que les sanctions prévues n'ont pas été appliquées..


4) Croissance des agences de notation


Il est tout à fait pertinent de se pencher sur la croissance exponentielle du chiffre d'affaires des agences de notation (il ne vous a pas échappé que ce sont des entreprises privées et pas des sortes de "cours des comptes" officielles), cette croissance ayant été réalisée en très forte corrélation depuis les années 90 avec la dérégulation financière (bulle internet en 2000,  etc..)


Comme toute entreprise, ces agences ont des clients, parmi lesquels de grandes banques, qui font ainsi l'économie d'évaluer elles-mêmes le risque pris en achetant tel ou tel titres de dette.

On peut même aller plus loin et carrément soupçonner le système de collusion ou de corruption lorsque par exemple une banque comme Goldman Sachs vend des CDO bourrés de subprimes et notés AAA par les agences, à ses clients, tout en pariant contre ces mêmes subprimes en achetant des assurance chez AIG, tout en pariant également sur la chute d'AIG qui serait incapable de payer le montant des assurances souscrites.. Cette banque obtient néanmoins moyennant rémunération que ses produits soient notés AAA.

5) le schéma de pompage de l'épargne européenne

Est il possible d'en déduire, ou de soupçonner tout du moins, le schema suivant :

les banques américaines sont encore aux abois, les séquelles de 2008 ne sont pas effacées, la dette américaine a elle-même explosé, le scandale du foreclosure gate peut à tout moment les mettre à genoux, et malheureusement le niveau d'endettement des ménages aux USA est tel, et le niveau d'épargne tellement inexistant qu'il y a une proie evidente, l'épargne européenne !


Description simpliste.. mais tout à fait plausible :
  1. une banque US commande une étude à une agence, qui doit dégrader un pays ou une entité européenne
  2. l'agence se fait payer pour cette dégradation grassement par la banque US
  3. le pays est dégradé, ses taux d'intérets s'envolent
  4. la banque US en question ainsi que 3 ou 4 de ses consoeurs émettent 98% des CDS, produit merveilleux inventé par JP Morgan en 1997 (Credit defaut Swap), en quelque sorte un certificat d'assurance sur la dette
  5. bien évidemment, le prix de ces CDS s'envole corrélativement à l'envolée des taux du pays dégradé
  6. ainsi lors d'une émission obligataire du pays dégradé, les "acheteurs" de dette pensent se couvrir en achetant à prix d'or les CDS émis
  7. un peu plus tard (mois ou années), on s'aperçoit finalement que le pays ne peut pas rembourser... mais on décide communément d'une décote "volontairement acceptée" par les banques
  8. Il n'y a donc pas ce qu'on appelle un "événement de crédit", donc les CDS ne sont pas déclenchés, donc les banques émettrices de ces produits n'ont rien à payer en dédommagement du "sinistre".
C'est magique non ? vous vous assurez contre le vol de votre voiture auprès d'une compagnie d'assurance, vous payez donc une prime, mais lorsque votre voiture est réellement volée (ainsi que celle de vos voisins), l'état vient vous voir et vous dit que vous avez accepté volontairement de perdre votre véhicule, qu'il en va de l'intérêt général, et donc la compagnie d'assurance ne doit pas vous indemniser.
Vous avez donc payé votre prime pour rien.. pas tout à fait car ça vous a permis de faire croire à tout le monde que vous n'étiez pas en risque avec ce véhicule..
Les banques acheteuse de dettes qui se couvrent par les CDS peuvent ainsi dissimuler une grosse partie de cette dette en hors bilan..
  • Peut on à minima poser la question de l'indépendance de ces agences ?
La réponse est claire quand on étudie leur actionnariat, il s'agit des gestionnaires des plus grands fonds de pension américains, qui sont d'ailleurs également actionnaires des plus grandes banques.


Conclusion

Avant la crise des subprimes personne ou presque dans le grand public n'avait entendu parlé de ces pieuvres. Aujourd'hui, si "la politique de la France ne se décide pas à la corbeille" comme disait un certain général, toute décision politique est dictée par ces entreprises qui sont pourtant coupables d'incompétence caractérisée, à minima, sur les CDO, et de fraude organisée plus probablement.

Alors certes elles ne sont pas responsables à la base de la mauvaise gestion d'une partie des finances publiques, mais elles sont tout à fait nuisibles, partie prenantes du système et devraient être mises hors d'état de nuire

Darkpool

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